CHAPITRE 3 - LES PREMIERES DISTILLERIES
La première distillerie mentionnée par un document, en 1690, serait celle de Ferintosh.
En effet, à la fin du XVIIème siècle, quelques distilleries virent le jour grâce à de bonnes récoltes de grains. Parmi ces distilleries, celle de Ferintosh, dans le comté de Ross et Cromarty, au nord d’Inverness, connut en effet une fortune toute particulière. Elle appartenait à un certain Duncan FORBES de Culloden près d’Inverness. Forbes était protestant, et donc partisan du roi d’Angleterre Guillaume III, qui détrôna le catholique Jacques II, roi d’Angleterre de souche écossaise. Celui-ci comptait de nombreux fidèles parmi les Highlanders. Ces « Jacobites » menèrent une guerre sanglante à l’usurpateur et à ses amis et ils incendièrent au passage la distillerie de Ferintosh. Mais les partisans de Jacques II STUART furent vaincus et le Parlement Ecossais, afin de récompenser la fidélité de Forbes au nouveau roi, lui accorda, à lui et à ses descendants, le droit de distiller en franchise de taxes tout le grain que ses terres pouvaient produire.
En 1707, sous la pression de la bourgeoisie, marchande et protestante, des Lowlands, l’Ecosse et son Parlement furent officiellement réunis à l’Angleterre. C’est alors seulement que l’Ecosse eut le droit de commercer avec les colonies britanniques. De cette époque date l’essor économique de Glasgow qui devint la rivale de Londres pour l’industrie et le commerce maritime. Cette perte d’autonomie politique fut bientôt suivie d’une traque incessante de la part des agents du fisc anglais pour contrôler et taxer la production du whisky. De nouveaux droits furent levés et notamment en 1725 la fameuse Malt Tax, impôt sur l’orge maltée, qui fut imposée aux Ecossais en violation de l’Acte d’Union.
A cette époque, la boisson nationale écossaise était la bière et non pas le whisky. L’aristocratie, quant à elle, préférait le vin et le cognac, ou brandy, importés en fûts de la région bordelaise et stockés à Leith, dans des entrepôts, les « Vaults », à l’emplacement même où se trouve aujourd’hui le siège social de la « Scotch Malt Whisky Society ». Les barriques disponibles étaient alors réutilisées pour faire vieillir le scotch. Seuls les Highlands consommaient le whisky. Le prix de la bière augmenta du fait de la nouvelle taxe sur le malt et le whisky de contrebande produit dans les Highlands commença à se répandre dans toute l’Ecosse.
La crainte du fisc anglais n’est peut-être pas étrangère au regain d’agitation qui régnait alors dans les Hautes Terres et aux rébellions jacobites de 1715 et de 1745 en faveur de Jacques II puis de son fils Charles, si aimé des Highlanders qu’ils l’appelaient Bonnie PRINCE CHARLIE, le Beau Prince. Ces troubles donnèrent un coup d’arrêt aux activités des FORBES. Pas pour longtemps, car en avril 1746, le prince Charles fut vaincu à Culloden et les Highlanders qui échappèrent au massacre furent cruellement châtiés.
En 1736 fut promulgué le « Gin Act » qui avait pour but de tenter de réduire la consommation de gin anglais et de genièvre hollandais. De ce fait, la production d’aqua vitae fut multipliée par deux en 1737 pour atteindre le chiffre considérable de 200 000 gallons, soit 900.000 litres !... FORBES rouvrit donc Ferintosh et vendit bientôt son whisky dans les Lowlands et surtout à Glasgow et à Edimbourg... Il accumula d’énormes bénéfices qu’il réinvestit en partie en achetant toujours plus de terres afin d’y semer de l’orge.
Vers 1780, il possédait trois distilleries à Ferintosh, mais d’autres producteurs s’installèrent également dans d’autres régions d’Ecosse. Cependant, contrairement à FORBES, ceux-là devaient demander une patente et surtout... payer les taxes. Celles-ci étaient réparties par le fisc anglais de façon tellement confuse et arbitraire qu’aucune distillerie ne payait les mêmes droits d’accise !... Une telle situation ne pouvait que favoriser la contrebande et la distillation clandestine, les habitants ne voyant vraiment pas pourquoi ils devaient payer au prix fort un droit qui leur paraissait héréditaire et naturel.
A cette époque, on appelait aqua vitae le pur malt whisky, tandis que les alcools aromatisés aux herbes recevaient généralement l’appellation celtique ou gaélique d’Uisquebaugh (ou encore Wisquebaugh).
En 1772, Thomas PENNANT qui visitait alors Islay nous précise que « dans l’ancien temps, on distillait (sur l’île) le thym, la menthe et l’anis ainsi que d’autres herbes aromatiques. » Les potions magiques des druides n’étaient pas loin !...
Depuis 1707, l’administration des Hébrides était entièrement confiée aux « lairds », les seigneurs locaux, car c’était une région bien trop difficile à gouverner. Islay et Jura furent même officiellement exemptées de l’Accise, ce qui explique sans doute, avec la présence de la tourbe, un combustible abondant et gratuit sur l’île, le développement des distilleries d’Islay. L’Anglais laissait en quelque sorte les irréductibles gaëls régler leurs affaires en famille avec sans doute l’arrière-pensée : « Qu’ils se battent et qu’ils boivent entre eux, pendant ce temps-là, nous aurons la paix !... »
Seule une série de mauvaises récoltes, vers 1760, vint stopper momentanément le développement des distilleries écossaises. Le Gouvernement interdit alors à nouveau toute production d’alcool sur l’ensemble du territoire. Mais quelques années plus tard, les céréales devinrent plus abondantes. Une tolérance fut admise pour la consommation domestique. Très vite la contrebande reprit et le whisky distillé clandestinement envahit le marché et ruina les distillateurs payant patente. Vers 1770, on recensait à Edimbourg pas moins de 400 alambics privés ! Ces abus, et surtout les propriétaires des distilleries officielles, amenèrent le Parlement à décréter l’abolition du droit de distiller librement et en franchise de taxes pour les particuliers. Le privilège de la famille FORBES fut également supprimé et seuls les distillateurs dûment enregistrés purent encore exercer. (1784).
Parmi les initiateurs de cette loi, deux familles apparentées, les STEIN et les HAIG...